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La reproduction du Papilliochromis altispinosa.

L'ALTISPINOSA

par Bertrand LE SAEC

Cette espèce est connue depuis assez longtemps puisqu'elle a été décrite en 1911 par J.D. Haseman sous le nom de Crenicara altipsinosa, « altispinosa » signifiant « épines hautes ». Une réelle bataille entre systématiciens existe à propos du nom de genre de cette espèce et de sa cousine ramirezi. Plusieurs choix ont été en concurrence : Microgeophagus, Pseudogeophagus, Pseudoapistograma, Papilliochromis. Il semble que la dispute se soit restreinte à Microgeophagus et Papiliochromis. Le premier bénéficie de l'antériorité, mais n'aurait pas été enregistré officiellement. Le second, lui, le serait. D'après les quelques textes que j'ai pu lire, il n'est pas clair de savoir qui a raison.
On utilisera donc ce qui est le plus couramment utilisé : « Papilliochromis » sans prendre partie. On remarquera que, dans tous les cas, le nom de genre peut changer, mais pas le nom d'espèce : il appartient à l'inventeur du poisson. Si un poisson a deux noms d'espèce, l'un des deux est nécessairement faux puisqu'ici la règle d'antériorité est absolue.

ZORRO A NAGEOIRES.

Ces poissons proviennent du sud-ouest du bassin de l'Amazone, plus exactement du bassin du rio Mamore, affluent du rio Guapore qui se jette dans le rio Madiera, lui-même affluant de l'Amazone (ouf !...). On les trouve dans de petits cours d'eau, mais aussi dans certains lacs. L'altispinosa est un cichlidé dont la forme est similaire à celle du Papiliochromois ramirezi, mais il est plus trapu et plus grand puisqu'il peut atteindre 15 cm d'après certains auteurs (je n'en ai jamais vu à cette taille : max 10 cm). Les 4 premières épines de la dorsale se terminent en noir. La quatrième est la plus grande de la quinzaine qui composent cette nageoire ; elle l'est encore plus chez les mâles. Une bande noire traversant l'oeil remonte verticalement sur la tête et donne l'aspect d'un fer à cheval écrasé lorsque le poisson est regardé de face. Une tache noirâtre peut orner le milieu du corps, plus souvent chez le mâle. Six bandes verticales traversent le corps ; elles sont peu visibles. Les nageoires sont bordées d'un liseré rouge vif qui tranche nettement sur la couleur dominante du corps gris-argenté presque blanc. Sur la caudale transparente, les deux épines extérieures rouges sont beaucoup plus longues que les autres. Une autre caractéristique mélanique du P. altispinosa est une tache jaune orange qui, à partir du bas du corps au niveau des pelviennes, envahit légèrement les ouïes et teinte l'arrière de la tête. La bouche, étroite, placée à peine en dessous du milieu de la tête, est munie d'une lèvre supérieure vert-bleu irisée. Cette bouche est proche, par exemple, de celle du Geophagus brasiliensis. C'est sans doute cette ressemblance, et bien sûr son comportement, qui en fait une espèce proche des Geophagus, titillant toujours le sol.

UN MONSIEUR POUR DEUX DAMES.

Chez moi, ils etaient trois, un monsieur pour deux dames. Ils logeaient dans un bac de 600 litres (125 x 75 x 65cm) qui leur procurait assez de surface pour leur nage au ras du sol... Pour compagnons, des poissons paisibles : une quinzaine de Nannostomus beckfordi, une trentaine de cardinalis, six Brochis splendens et six discus ; seule une vingtaine de Petitella georgiae perturbait la quiétude du bac en mettant leur nez rouge un peu partout. Le décor est bien sur celui d'un bac amazonien : de nombreuses plantes à structure verticale, des feuilles longues et espacées (Echinodorus, Valisneria, Cryptocoryne) pour permettre aux discus de circuler aisément entre elles ; deux grosses souches libérant quelques tanins jaunissant un peu l'eau, mais l'acidifiant aussi. Le tout mijotant à 28 degrés. La partie avancée du bac ne comporte que de courtes plantes (Cryptocoryne et Anubias nana) pour permettre la nage libre aux seigneurs du bac.

A LA RECHERCHE DE L'EQUILIBRE.

Un mois plus tard, la population change : deux messieurs altispinosa pour une dame... L'ambiance paisible s'altère alors, un couple se forme et s'acharne sur le célibataire. Bientôt, ils ne sont plus que deux, le troisième étant parti nager sous d'autres cieux... Pourtant l'orage ne disparaît pas, les scènes de ménage, certes pas si violentes que ça, sont continuelles. Puis madame devient la plus véhémente. Tiens, tiens... Je teste l'eau : pH 6.8, KH 4 ; des conditions presque idéales (un pH un peu plus élevé eut été mieux, mais pas pour les discus). Et cela ne tarde pas : les voilà qui nettoient une pierre.
couple avant repro

TENTATIVES RATÉES.

Je n'ai pas assisté à la reproduction, mais je suppose qu'elle s'est déroulée comme avec mon précédent couple. Elle est en plusieurs actes. Les oeufs sont déposés en série par la femelle aussitôt couverts par le mâle. A chaque entracte, tout poisson indiscret est violemment agressé tant par le mâle que la femelle. Les oeufs, de couleur vert-jaune comme certains cuivres, sont très petits (moins d'un millimètre), ils sont serrés les uns contre les autres et pourtant ne semblent pas se toucher. L'ensemble forme un disque irrégulier (3-4cm) minimisant ainsi les déplacements de la femelle pour les soins. Ils sont rarement «ventilés», mais tout oeuf blanchissant (donc moisi) est enlevé du groupe. Par contre, le site n'est pas idéal, la pierre posée de biais sur une autre, représente une cache pour les ancistrus nés dans le bac (leur père vient de réussir une performance : se reproduire avec ses deux femelles le même jour : son nid sis dans un trou profond de souche déborde, littéralement, d'oeufs). Les P. altispinosa, ne supportant plus les incessants passages de leurs voisins, craquent et dévorent leurs oeufs en deux minutes. Deçu, je décide de disposer dans différents coins moins fréquentés du bac, plusieurs galets bien lisses et plats.

UN FRAI SOUS HAUTE-PROTECTION.

le couple pendant la repro
Trois semaines plus tard, une autre ponte ; celle-ci va jusqu'à l'éclosion. Les larves ne restent pas longtemps sur la pierre. Lorsque je m'approche, elles ont disparu : elles ont été transportées dans un trou au pied d'une Valisneria. Sans doute parce que la quartzite du sol est un peu grosse pour cette espèce, la cavité (2 cm de diamètre) est très cylindrique. Elle est aussi profonde que large. Là, un instant d'inquiétude : la femelle se rue sur sa progéniture en la gobant goulûment. Je m'écarte et constate qu'elle n'a pas été avalée. Cinq minutes plus tard, les petits ont été recrachés dans une autre dépression creusée préalablement. Je ne sais pas qui, des parents, a creusé ces trous.
Pendant ce temps, monsieur n'est pas resté inactif. Non seulement, il essaye de m'intimider à travers la vitre, mais il n'hésite pas à chasser une paire de discus trop près à son goût de la nouvelle nurserie. Trois nids sont ainsi disposés en demi-cercle autour de la pierre de ponte. Ils sont régulièrement utilisés, toujours dans le même ordre. Les larves ne sont donc pas déplacées nécessairement vers le plus proche.
femelle chasse le mâle  mâle après repro

QUESTION D'HYGIÈNE.

La protection du frai est évidemment une des raisons de ces déménagements, mais il me semble que l'hygiène peut aussi en être la cause, les alevins polluant sans doute les nids (acide urique, urée ?). Ces déchets doivent s'accumuler dans les refuges qui, assez profonds, ne sont peut-être pas assez purs par le brassage léger de l'eau du bac. La filtration utilise une décantion à deux corps. Dans le premier, l'eau sale passe à travers une mousse bleue emmanchée sur un tube PVC abondamment percé, puis à travers ce tube elle s'écoule dans le second corps pour être propulsée dans le bac par une pompe de 2400l/h. Cette nouvelle ponte ne donne pas non plus d'alevins nageant. Leur nombre décroît régulièrement sur trois jours. Je soupçonne que des "Morlocks" venus du sous-sol les dévorent : des melanoides dont certains font plus de deux centimètres. La ponte suivante évolue de la même manière et n'a pas plus de succès. J'interviens donc, lors de la quatrième, en enlevant les oeufs aux parents dès le troisième jour.

LES GRANDS MOYENS.

La pierre est placée dans une petite boîte en PVC transparent avec un diffuseur.
Cette boîte est installée en bain-marie sous le renfort d'un bac d'élevage de Cichlidés du Malawi, fort intéressés par ailleurs... Elle est maintenue en place par un morceau de polystyrène. L'eau est légèrement colorée par du bleu de méthylène pour éviter le pourrissement des oeufs. La boîte est nettoyée tous les jours. L'eau est renouvelée complètement tous les jours (25 % d'eau neuve et 75 % du bac d'origine). Pondues un jeudi matin, plus de 150 larves gigotent le dimanche soir. Les larves mesurent 1,5 mm, plus d'un tiers du corps étant occupé par une petite queue noire. Le lendemain, elles quittent la pierre et leurs yeux deviennent visibles. La nage effective en pleine eau a lieu le jeudi suivant. Il a fallu plusieurs jours pour que le sac vitellin soit complètement résorbé. Comme il m'a été difficile de distinguer le moment où celui-ci a disparu, je préfère commencer le nourrissage peut-être trop tôt : trois jours après l'éclosion, mais le petit bac étant nettoyé quotidiennement cela ne pose pas de problème. Après chaque changement d'eau, le bac est saturé de nauplies d'artémias ce qui garantit de la nourriture, même morte, tout au long de la journée. Quinze jours après les alevins mesurent 4 mm, ils ont plus que double de taille ! Me méfiant d'un éventuel déséquilibre du nourrissage, je leur fournis aussi, une demi-heure avant le renouvellement de l'eau, des paillettes finement écrases. Celles-ci sont très appréciées. Je ne connais pas l'origine des reproducteurs, mais les deux partenaires étant quasiment aussi colorés, je soupçonne qu'ils sont le fruit d'une sélection. Ceci est, en général, nuisible à la qualité de la reproduction ; chez certains cichlidés plus de 30 % des reproductions sont constituées d'animaux mal formés. Ici, j'ai eu de la chance : seuls quatre alevins sont «tordus» et trois autres présentent un retard de croissance flagrant. Deux mois après l'éclosion, les petits commencent à quitter la maison familiale et à envahir des bacs étrangers...

bertrand le saec